Édition #27 — 23 février 2020
Aujourd’hui, je vais vous parler de cette distillerie bien connue de l’île d’Islay.
Laphroaig, ce nom qui sent la tourbe et qui me rappelle plein de souvenirs. C’est en effet avec un Laphroaig 10 ans que j’ai débuté mon histoire d’amour avec le whisky, en 2010.
Plongeons ensemble dans l’histoire et la gamme de cette distillerie, puis voyons ce que nous disent 5 de leurs whiskies auxquels on a pu goûter lors de notre première vraie dégustation verticale.
Bonne lecture,
Robin
Cette distillerie emblématique est fondée en 1815 par Alexander et Donald Johnson, deux frères nés sur l’île d’Islay. Ils installent leur distillerie à deux pas de Port Ellen, sur la côte sud, dans un lieu nommé Laphroaig (prononcé « Lafro-èg »). Le terrain est loué au propriétaire (!) de l’île, un politicien écossais nommé Walter Frederick Campbell, qui se plaisait à soutenir financièrement les nouvelles distilleries et qui fonda également les villes de Port Ellen et de Port Charlotte (nommées d’après sa femme et sa mère).
Laphroaig est fondée la même année que sa voisine Lagavulin, avec laquelle elles ont entretenu des relations d’abord très proches puis une vraie rivalité ensuite au début du XXème siècle. Ardbeg, située quelques kilomètres plus loin et fondée en 1796, commence également sa production commerciale en 1815. C’est assez drôle de voir à quel point ces trois petites distilleries voisines, lancées au même moment, sont devenues des icônes mondiales 200 ans plus tard.
Laphroaig reste dans les mains de la famille Johnson et de ses descendants jusque dans les années 1960, période à laquelle des investisseurs américains rentrent au capital pour rénover la distillerie. Ils prennent rapidement la majorité puis revendront Laphroaig quelques années plus tard à Long John International. La distillerie devient alors un simple élément dans le portfolio de grands groupes de spiritueux (comme la plupart des autres distilleries écossaises), et d’acquisitions en acquisitions, elle devient la propriété du groupe américano-japonais Beam Suntory, qui possède également Bowmore ou Ardmore en Ecosse.
Aujourd’hui, les sept alambics de Laphroaig produisent un peu plus de 3M de litres (d’alcool pur) par an, ce qui la place au second rang d’Islay derrière Caol Ila. Ses single malts sont néanmoins les plus vendus de l’île à l’échelle mondiale.
Sa gamme officielle est désormais composée de peu de whiskies mentionnant un âge, à l’exception du classique 10 ans que nous pouvons trouver facilement un peu partout. Il existe également un 10 ans brut de fût, mais à part ça, les autres mentions d’âge sont tous de vieux Laphroaig, portant les chiffres de 25 et 30.
Car depuis quelques années, Laphroaig s’est converti à la mode des NAS (No Age Statement), abandonnant ses populaires 15 ans (réputé pour être le préféré du Prince Charles) et 18 ans pour leur préférer des Lore, des Cairdeas, des Brodir, des PX et des Quarter Cask. Comme ailleurs (notamment au Japon), la diminution des stocks, provoquée par une demande mondiale en hausse, est probablement la principale motivation de cette conversion aux NAS.
Une verticale de Laphroaig
Ça faisait un bon moment que j’avais ça en tête, et on y est enfin arrivé ! Une dégustation verticale, soit une dégustation comparative de plusieurs whiskies provenant d’une même distillerie. C’est très instructif, car ça permet de passer d’un whisky à l’autre et de bien les comparer, d’essayer d’identifier leurs points communs et leurs différences.
On a pu faire ça la semaine dernière avec Julien et Xavier, un membre toulousain de la SMWS, et nous avions réuni pour l’occasion cinq Laphroaig, âgés de 18 à 25 ans : deux embouteillages officiels et trois embouteillés par la Scotch Malt. On aurait aimé aussi avoir le classique 10 ans pour se donner un point de comparaison, mais aucun de nous ne l’avait en stock…
Laphroaig 18 ans, embouteillage officiel
On commence avec le plus jeune de notre dégustation, âgé tout de même de 18 ans. Mon frère m’avait offert ce whisky en 2014, juste avant que sa production ne soit arrêtée. J’en avais bu quelques verres à l’époque (je l’avais adoré) puis j’ai laissé la bouteille s’éventer pendant mes quatre années d’expatriation québécoise. Lorsqu’on a pris conscience que le whisky contenu dans des bouteilles ouvertes perdait en qualité au fur et à mesure des années, je me suis empressé de le « sampler », mais le mal était fait et je pense qu’il n’est plus aujourd’hui à son niveau d’autrefois.
Ce whisky est clairement celui qui nous a procuré le moins de plaisir parmi nos cinq du soir. C’est bien sûr dû à la qualité des autres, mais je suis curieux de voir comment il se serait comporté s’il était sorti d’une bouteille neuve.
Là, au nez, je l’ai d’abord trouvé sympa, avec une tourbe légère bien arrondie par des arômes gourmands de gâteau au beurre salé et de poire fraiche. Puis en le comparant avec les autres, je l’ai trouvé comme essoufflé, affaibli, moins évocateur. Les arômes sont là mais ne nous transportent pas autant, c’est drôle.
En bouche, même constat : il est assez brutal mais peu complexe, là encore comme essoufflé. La tourbe est plus présente qu’au nez mais bien enrobée dans quelque chose de rond difficile à décrire, hormis pour le bois qu’on sent beaucoup.
La finale a par contre bien relevé le niveau, elle est longue et sur une tourbe gourmande.
Mais moi qui l’avait noté 4.5/5 en 2018, je ne lui donnerais clairement pas la même note aujourd’hui après l’avoir comparé aux autres. Il se situerait plutôt autour de 3.75 ou 4 pour moi.
Laphroaig 20 ans, A perfect moment (SMWS)
On poursuit avec un whisky deux ans plus âgé, et quel whisky ! C’est notre coup de coeur de 2018 avec Julien, celui qui nous a fait tombé sous le charme de la SMWS. On avait ensuite pu y regoûter au Hopsctoch quelques fois avant que Julien ne parvienne à en dénicher une bouteille qu’il garde bien précieusement sous son oreiller. Embouteillé brut de fût par la SMWS après un passage en fûts de sherry, ce whisky est une bombe qui fait l’unanimité auprès de tous ceux qui ont pu y goûter !
Sauf que là, en le comparant avec nos autres Laphroaig du soir, il m’est apparu moins dominant que lorsqu’il est dégusté à côté de whiskies d’autres provenances.
Son nez est très riche d’abord, caramélisé et iodé avant que la tourbe fermière de Laphroaig ne se pointe. Très sympa, on sent bien l’influence du sherry ici. Mais lorsqu’on le compare avec d’autres, et notamment avec le 25 ans, il ne sort pas autant du lot que d’habitude.
En bouche, on retrouve les impressions qu’on avait eu dans le passé : une montée crescendo qui se termine par une explosion de tourbe bien arrondie par le sherry. C’est très chouette et clairement le point fort de ce whisky. Il dure ensuite très longtemps en bouche, avec une tourbe iodée et marquée mais aussi assez sucrée.
Il reste bien sûr toujours aussi plaisant, mais après cette dégustation, je lui fais perdre 0.25 sur ma note initiale, pour le redescendre à 4.5 sur 5.
Laphroaig 20 ans, So long and thanks for all the medicine (SMWS)
Même âge, profil très différent, puisque absence de sherry pour ce whisky. Au nez, on sent bien la tourbe, une tourbe assez fermière mais pas agressive. Puis des noix salées, puis, avec de l’eau, des fruits qui nous rappelle le nez du Perfect moment.
En bouche, on a quelque chose de rond, peu fumé mais iodé, très sympa. Peu de tourbe au départ puis elle arrive tranquillement ensuite et se fait bien sentir sur la finale. La réduction nous amène par contre un profil très différent, où on sent à peine la tourbe qui a cédé sa place à quelque chose de très sucré, comme des fruits confits, c’est étonnant mais excellent.
Il est ensuite assez court, mais là encore bien sympa avec des notes de réglisse. Décidément très différent du Perfect moment mais pas moins réussi, je lui donnerais la même note et j’ai eu autant de plaisir à le déguster ce soir-là (mais c’est peut-être un peu biaisé car c’était la première fois que je dégustais celui-ci alors que j’ai déjà eu plusieurs occasion de goûter au Perfect).
Laphroaig 21 ans, A moment of warmth (SMWS)
Un an de plus pour ce Laphroaig tout juste acquis par Xavier, et lui aussi a passé sa vie dans un ex-fût de bourbon. Il est plus discret que ses petits frères : un nez est très léger, à peine tourbé, assez étonnant pour un Laphroaig. Il me fait plutôt penser à une tourbe du « continent », comme chez Ardmore, mais pas vraiment d’Islay.
En bouche, la tourbe devient beaucoup plus marquée, médicinale d’abord puis plus ronde ensuite, pour un moment très agréable. Comme le dirait Xavier, c’est un whisky léger mais chaleureux, avec lequel il faut prendre son temps, parfait pour siroter au coin du feu.
En finale, la tourbe reste très longtemps en bouche, avec également des fruits confits.
Il est pour moi un peu en deçà des deux précédents, mais tout de même avec un 4.25 bien mérité.
Laphroaig 25 ans, embouteillage officiel
On termine avec le plus âgé, notre 25 ans d’embouteillage officiel lui aussi embouteillé brut de fût. J’avais réussi à le dégoter en sample, et nous avions donc 3,5cl pour nous faire une idée. Et quelle belle surprise. Au nez, je l’ai trouvé plus vif que les autres, avec une tourbe encore plus légère, plus iodé et avec des notes de cuir. Puis plus tard, j’y ai trouvé d’étonnantes notes de fleurs, de mimosa. J’ai adoré ce nez !
En bouche, mêmes impressions : peu de tourbe mais un ensemble délicieux, assez léger mais très complexe. On sent là des agrumes et j’aurais du mal à dire que c’est du Laphroaig. La tourbe ne vient nous chatouiller que beaucoup plus tard, à peine. Très agréable en bouche !
La finale se révèle très longue, là encore sur un mélange d’agrumes confits, d’iode et de tourbe légère. C’est long et c’est bon. Très très bon.
Sur cette dégustation, il vient détrôner l’indéboulonnable Perfect moment et chiper un 4.5 voire un 4.75. Moi qui ne suis plus très fan des tourbes trop prononcées, j’ai été conquis par celui-ci.
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