Édition #7 — 5 MAI 2019
On vous parle aujourd’hui d’un sujet assez peu discuté chez les amateurs de whisky : la conservation de vos bouteilles ouvertes.
J’avais jamais trop réfléchi à ce sujet, ayant en tête la pensée que, à l’inverse du vin, le whisky n’évolue plus une fois en bouteille. Puis il y a quelques mois, j’ai commencé à me poser la question, et à la poser autour de moi, au Hopscotch lors de dégustations par exemple.
Quelle ne fût pas ma surprise lorsque j’entendais que « il vaut mieux éviter de garder une bouteille ouverte plus de 1,5 ou 2 ans », voire que « dès 6-9 mois après ouverture, le whisky commence déjà à évoluer ».
Eh ouais : le whisky ne bouge plus une fois qu’il est en bouteille certes, mais à condition que la bouteille n’ait pas été ouverte et qu’elle ait été conservée dans de bonnes conditions. Grosse nuance !
Vous trouverez dans cette news un peu plus de détails sur ce sujet : le compte-rendu d’un test approfondi mené par un expert scandinave, un dégustation comparative qu’on a mené cette semaine sur des whiskies bien connus, et quelques recommandations pour pas vous retrouver avec un super whisky devenu fade. Un riche programme qui risque de vous donner quelques sueurs froides…
Bonne lecture,
Robin
Comme je le disais plus haut, cette question a commencé à trotter dans ma tête il y a quelques mois, au gré de dégustations. Puis en début d’année, je suis tombé sur un article sur un célèbre site anglophone : le compte-rendu d’un test mené par un expert scandinave sur ce sujet de la conservation du whisky. En voici un résumé.
Cet expérimentateur choisit un whisky écossais pour son test, un Bowmore 15 ans Laimrig. Un whisky embouteillé à 53.7% et noté 88.5/100 sur WhiskyBase : de la très bonne came (d’ailleurs aujourd’hui épuisée et vendue à plus de 140€ la bouteille sur les sites d’enchères).
Il place ensuite des échantillons de ce Bowmore dans des conditions différentes :
Pour compléter l’expérience, notre apprenti sorcier conserve une bouteille de 70cl avec 10cl de whisky dedans ; une autre remplie à moitié ; et une dernière non-ouverte. Soit 8 échantillons au total, et pas mal de bon whisky risquant d’être gâché !
Il « oublie » ensuite ces échantillons et bouteilles pendant deux longues années. Jusqu’au jour où, avec d’autres amateurs, ils procèdent à une dégustation à l’aveugle.
Les résultats (parfois surprenants) :
1. Conservé au congélateur à -18°C : défauts mineurs, affaibli au nez et en bouche.
2. Conservé à l’extérieur, avec exposition au soleil : imbuvable et non reconnaissable en tant que whisky (!!)
3. Scotché à une machine et conservés à 45°C : plutôt bon, plus doux et plus fort sur le chêne, « vieilli ».
4. Exposé à des variations de température importantes : similaire au #3, sucre marqué et nez assez pauvre.
5. Conservé dans une bouteille en plastique : amer, nez de cendrier, « complètement détruit » en bouche.
6. Bouteille de 70cl avec seulement 10cl de whisky dedans : oxydé, « une ombre de sa gloire passée ».
7. Bouteille de 70cl à moitié pleine : défauts mineurs, affaibli au nez et en bouche.
8. Bouteille référence, non-ouverte : plus intense, avec une superbe rondeur, du fruit, du toffee et une légère fumée de tourbe.
Voilà qui a de quoi inquiéter l’amateur possédant chez lui de nombreuses bouteilles ouvertes depuis longtemps…
Si vous souhaitez lire l’article en entier (et en anglais), c’est ici.
Nos notes de dégustation – Par Robin
Après avoir lu cet article, j’ai voulu mener mon propre test moi aussi. Un test plus modeste, mais quand même. Faut dire que j’ai, dans mon placard, pas mal de bouteilles ouvertes depuis plus de 4 ans, et des plutôt bonnes. Ce que j’avais lu dans cet article me faisait un peu flipper…
Alors j’ai pris mes deux plus anciennes bouteilles, ouvertes il y a environ 8 ans et dans lesquelles il ne restait qu’un fond, moins d’un cinquième je dirais. Soit beaucoup d’air pour agir sur le whisky. Ces deux bouteilles sont des grands classiques qu’on retrouve dans la plupart des supermarchés : un Lagavulin 16 et un Highland Park 12. J’ai toujours fait très attention à leur conservation : température ambiante, rangées dans leur étui (donc dans le noir) et dans un placard.
Mercredi, avec notre compère Romain, on a comparé les whiskies de ces deux bouteilles avec leur équivalents issus de bouteilles ouvertes récemment : celle de HP était neuve, celle de Lagavulin ouverte il y a moins d’un an.
Commençons par la version « éventée ». Au premier nez, on n’a pas grand chose, juste du bois humide, beaucoup de bois, comme si on sentait dans un tonneau presque moisi. Après l’avoir agité, c’est un peu mieux, mais c’est pas terrible, vraiment plat. En bouche, c’est mieux, mais encore très boisé, on sent un peu le fameux côté iodé de Highland Park, mais la finale est très bof, limite désagréable. C’est devenu un whisky constant dans la médiocrité, il ne lui reste que son alcool pour réchauffer un peu la gorge.
Passons à la version « neuve ». Au nez, c’est vraiment plus expressif, on sent le côté salin, c’est rond, comme du caramel au beurre salé. C’est un plaisir, et une grosse différence par rapport à l’autre. En bouche, c’est là aussi plus expressif, plus aromatique, rond et gourmand, on a envie de le manger. Et la finale est longue, agréable, me rappelant pourquoi j’aime tant Highland Park.
En bouche, j’ai bien la sensation de boire un même whisky, avec un profil aromatique assez similaire, sauf que le vieux est maussade, avec des arômes très émoussés, et ne transmet aucune émotion
Déjà à l’oeil, on constate une petite différence visuelle : la version « éventée » est plus claire que la version « récente ». Pourtant, il a toujours été conservé dans sa boite, donc dans le noir.
Au premier nez, on trouve une faible différence entre les deux version : il y a bien une différence, mais difficile de reconnaitre qui est qui. Par contre, après un peu de temps dans le verre, ça s’éclaircit. La version « éventée » sent la fumée, mais une fumée chimique, acide, comme une fumée d’usine ; et des fruits gâtés aussi, puis de plus en plus de bois au fur et à mesure. Pas cool. Alors que le récent est sur la tourbe, une tourbe grasse, gourmande, qu’on a envie de déguster. Rien à voir.
En bouche, le « vieux » nous envoie beaucoup de bois d’abord, mais laisse ensuite place à la fumée puis à la tourbe. C’est pas si mal, on a un peu de rondeur, mais globalement, il se passe pas grand chose. Et la finale est dans cette même lignée : décevante, presque inexistante. On a bien un peu de tourbe, mais très peu d’émotions…
Grosse différence avec le « récent », qui est gourmand et tourbé en bouche, mais surtout très aromatique, ave plein d’arômes qui explosent un peu partout. Et c’est surtout sur la finale qu’on sent la différence, celle-ci étant longue et agréable, très plaisante, donnant envie de se blottir au coin du feu. Et donnant aussi des inspirations poétiques
Dure conclusion donc. Et franchement, ça nous a mis un petit coup ; on est nombreux à vouloir faire durer nos bonnes bouteilles pour pouvoir les déguster plus longtemps, mais c’est en fait une belle erreur. Et moi de me dire que j’aurais dû profiter de mes belles bouteilles lorsqu’elles étaient neuves, plutôt que de les laisser se détériorer…
Mais tout n’est pas foutu, on peut encore essayer de sauver les meubles. Voici quelques pistes.
Un peu de culture whisky – Par Robin
Mais alors, comment conserver ses bouteilles de whisky ouvertes ? D’abord, les conseils classiques : à l’abri de la lumière (surtout celle du soleil) et à température ambiante. Ensuite, pour faire face à l’oxydation, voici les trois pistes que je proposerais après avoir croisé les recommandations que j’ai pu glaner ça et là :
Option #1 : échantillonner sa bouteille.
C’est-à-dire transférer le whisky dans des contenant plus petits dès les premiers mois d’ouverture. Certains semblent faire ça avec des flacons de 10 ou 20cl, moi je serais plutôt tenté d’y aller pour des mignonettes de 3 à 5cl, car ça se transporte bien et ça peut même se partager facilement avec d’autres passionnés. Mais qu’importe la contenance, l’objectif ici est d’avoir un volume d’air le plus réduit possible, pour limiter les effet de celui-ci sur notre whisky. Personnellement, c’est cette option qui me tente le plus ; j’ai d’ailleurs fait quelques recherches de mignonettes et le site Boboco propose des trucs pas si mal et pas très chers (que ce soit des mignonnettes ou des petits bocaux de 3-5cl).
Option #2 : combler le vide dans sa bouteille.
Pour ce faire, j’ai entendu dire que certains utilisent des billes en verre qu’ils insèrent dans la bouteille. Cela a pour conséquence de faire monter le niveau du liquide. Il suffit donc d’ajouter autant de billes que nécessaire pour avoir un niveau constamment à son maximum, équivalent à une bouteille pleine. Option intéressante, mais qui me parait un peu acrobatique (pour se servir) lorsqu’il ne reste qu’un faible volume de liquide dans la bouteille.
Option #3 : chasser l’oxygène.
Tout comme les amateurs de vin peuvent chasser l’oxygène d’une bouteille ouverte grâce à une pompe et à un bouchon fait exprès, je me dis qu’on pourrait faire la même chose pour un whisky. Mais ces bouchons, qui assurent l’étanchéité d’une bouteille de vin pendant quelques jours, semaines, voire mois, seraient-ils performants sur une durée beaucoup plus longue ? Bonne question…
A vous de choisir ! On pourrait aussi parler d’une dernière option : n’avoir qu’un nombre limité de bouteilles ouvertes chez soi, dont le volume cumulé correspond à ce qu’on pense consommer en un an.
Voilà qui vient clore ce sujet épineux. Si ça vous fait réagir, si vous voulez partager quelque chose, n’hésitez pas à répondre à ce mail !
Nous n’envoyons plus de nouvelles newsletters depuis avril 2020.
Vous pouvez retrouver toutes nos éditions sur notre site.