Édition #24 — 1 Décembre 2019
Pour la première fois dans Whisky Weekly, on ne va pas vous parler que de whisky ! On s’aventure vers d’autres spiritueux, pour apprendre comment ils sont faits, puis on part à la rencontre de Guillaume, qui vient de lancer une entreprise d’embouteillage de spiritueux à Toulouse avec son associée Géraldine.
Bonne lecture,
Robin
Lorsqu’on boit un spiritueux, on se demande rarement comment il a été fabriqué. Et si on se posait cette question qu’on se pose pas ? 😃
Si j’essayais de résumer très approximativement comment on fabrique une eau-de-vie, en généralisant au maximum, je m’y prendrais ainsi :
Ce résumé s’applique pour la plupart des spiritueux que nous allons voir ci-dessous, mais pas pour tous. C’est parti pour un petit tour d’horizon des procédés de fabrication de quelques spiritueux bien connus.
Commençons avec notre spiritueux favori. Le whisky est plus ou moins de la bière distillée. Une bière sans houblon bien sûr, et qui peut contenir d’autres céréales que de l’orge. Mais le procédé de fabrication du wash, ce liquide fermenté qui sera distillé pour obtenir le new make qui deviendra whisky après trois ans de vieillissement, est quasi-identique au procédé qui permet d’obtenir de la bière.
En résumé :
Céréales germées → moût → bière → eau-de-vie → whisky.
Point de bière pour fabriquer ces deux spiritueux français, mais du vin. Un vin blanc léger et acide, traditionnellement fait de Folle Blanche, cépage fragile remplacé par l’Ugni Blanc (et le Baco pour l’armagnac). L’eau-de-vie obtenue après deux distillations doit ensuite vieillir en fût de chêne pour porter le nom de cognac (2 ans de vieillissement) ou d’armagnac (1 an). Ailleurs dans le monde, ces spiritueux fabriqués par distillation de vin se nomment brandys.
En résumé :
Raisin → jus de raisin → vin → eau-de-vie → cognac/armagnac.
On reste ici sur un autre spiritueux bien français et attaché à un autre terroir, la Normandie. Ici, le raisin est remplacé par de la pomme (ou de la poire). Le jus de pomme est ensuite fermenté (de façon spontanée, sans ajout de levures) pour donner du cidre. C’est ce cidre qui est ensuite distillé pour obtenir une eau-de-vie, qui devra vieillir au moins 2 ans en fût (ou foudre) de chêne pour s’appeler calvados.
En résumé :
Pomme → jus de pomme → cidre → eau-de-vie → calvados.
Derniers spiritueux de notre liste à n’être produits que dans une région bien précise (le Mexique), la téquila et le mezcal sont obtenus à partir d’une plante, l’agave. Son coeur est récolté puis cuit pour transformer le sucre qu’il contient en sucres fermentescibles. Ce coeur d’agave est alors pressé, pour obtenir un jus sucré. Place ensuite à la fermentation de ce jus d’agave, puis à la distillation du moût fermenté. La tequila vieillit ensuite en fût (ou foudre) de chêne avant d’être embouteillée.
En résumé :
Agave → jus d’agave → moût → tequila (ou mezcal).
On reste sous les tropiques, mais cette fois-ci sous les tropiques du monde entier. Le rhum est en effet produit dans tous les pays assez chauds pour faire pousser sa matière première, une autre plante : la canne à sucre. Les sucres de la canne sont directement fermentescibles ; le jus de canne peut alors être fermenté en vin de canne, lui-même distillé pour donner du rhum agricole.
Il existe néanmoins un autre type de rhum, appelé rhum traditionnel et comptant pour 90% de la production mondiale, qui n’est pas directement produit à partir de jus de canne, mais à partir d’un sous-produit de la transformation du jus de canne… en sucre. Ce sous-produit est la mélasse, un sirop épais très sucré, qui pourra être dilué, fermenté puis distillé. Il n’y a apparemment pas de vieillissement minimum pour se nommer rhum.
En résumé :
Canne à sucre → jus de canne/mélasse → vin de canne → rhum.
Changement d’ambiance, cap à l’est. Ici, le « liquide sucré » qui sera fermenté est un peu moins facile à définir : il peut être composé de céréales (seigle, blé, orge, maïs), de mélasse (issue de betteraves à sucre) mais aussi de pommes de terre ! L’amidon que contiennent les pommes de terre peut être transformé en sucres après cuisson : en broyant les patates cuites et en ajoutant de l’eau, on obtient un moût sucré qui pourra être fermenté puis distillé. La distillation est beaucoup plus intense que pour nos spiritueux précédents : elle implique 4 à 8 passages en alambic et permet d’obtenir un alcool au degré très élevé (env. 95%). Cette eau-de-vie sera ensuite filtrée pour rendre l’alcool le plus neutre possible, puis réduite à l’eau de source pour l’embouteillage. Pas étonnant que pour un amateur de spiritueux comme le whisky ou le rhum, la vodka soit un peu moins excitante…
En résumé :
Céréales germées / pommes de terre → moût → moût fermenté → vodka
Avec le gin, on ne change pas seulement d’ambiance, mais de procédé de fabrication. Pour la simple raison que le gin n’est pas une eau-de-vie. C’est un « spiritueux composé », une aromatisation d’alcool neutre avec des plantes et aromates. L’alcool neutre, qui est généralement produit suivant un procédé similaire à celui de la fabrication de la vodka (à partir de céréales ou de mélasse), est en fait une eau-de-vie qu’on a filtré pour en retirer ses arômes. Des arômes qu’on va justement vouloir rajouter grâce à nos plantes et aromates.
Pour le gin, l’aromate principal est la baie de genièvre, mais de nombreuses autres espèces peuvent rentrer dans la recette. Les plantes & aromates sont généralement mises à macérer dans l’alcool neutre pendant quelques jours, avant que celui-ci ne soit redistillé ; les ingrédients aromatiques peuvent aussi être intégrés « par infusion » pendant la re-distillation (ils sont alors pendus dans l’alambic, permettant à l’alcool de s’aromatiser en les traversant).
Mais attention : certains gins dédiés à la grande consommation sont produits de façon beaucoup plus simple et sans re-distillation, en mélangeant des essences aromatiques à de l’alcool neutre. Entre de la vodka aromatisée et du gin, la frontière peut être mince 😉
En résumé :
Eau-de-vie → alcool neutre → aromatisation → nouvelle distillation → gin
Ce processus de macération de plantes dans de l’alcool neutre est aussi celui utilisé pour fabriquer le pastis ou l’absinthe. La matière première de l’alcool neutre peut varier — céréales, betterave, ou raisin/vin dans le cas de l’absinthe par exemple — mais ce sont surtout les plantes et aromates utilisés qui modifieront le caractère du spiritueux obtenu.
Pour l’absinthe, les ingrédients aromatiques principaux sont l’anis vert, le fenouil et la grande absinthe. Pour le pastis (créé en réaction à l’interdiction de l’absinthe au début du XXème siècle), c’est aussi l’anis, qu’il soit vert ou étoilé. Idem pour l’ouzo, la sambuca ou l’aguardiente. Bien sûr d’autres plantes peuvent être ajoutées, comme la réglisse qui a rendu si populaire le pastis de Paul Ricard. On pourrait évidemment citer plein d’autres spiritueux conçus selon le même procédé, du génépi au Jagermeister.
Notons que, comme pour le gin, on peut créer ces alcools de plantes par simple adjonction d’huiles essentielles (ou extraits naturels) à de l’alcool neutre, sans nouvelle distillation.
Il s’appelle Guillaume Pituello, et avec son associée et amie Géraldine Alexandre, ils viennent de se lancer dans le grand bain de la création d’entreprise. Et pas n’importe quel type d’entreprise : ils viennent de lancer leur société d’embouteillage indépendant de spiritueux français. Une société qui se nomme Mistigma.
Dans cette petite interview, Guillaume nous parle de cette activité et de plein d’autres choses. Let’s go!
Comment es-tu tombé dans la marmite des spiritueux ?
Avec Géraldine, on est tombé dans la marmite des spiritueux au même moment. On m’avait offert une soirée dégustation « Accords Mets & Whisky » à l’Atelier des Chefs à Toulouse. Et là, grosse révélation autant pour Géraldine que pour moi.
À partir de ce moment là, nous avons dévoré tous les articles et livres que l’on trouvait, on allait discuter avec des cavistes, on faisait le plus de dégustations et de salons possible. Ce qu’on a de suite adoré, c’est de s’éloigner des sentiers battues des gammes permanentes, en allant chercher à découvrir les spiritueux d’embouteilleurs indépendants, en éditions limités ou en single cask, etc… Plus on découvrait de nouvelles choses, plus l’idée d’embouteiller nos propres spiritueux grandissait jusqu’au jour où on s’est lancé, et qu’on a créé notre société.
A travers nos embouteillages, nous souhaitons partager notre passion, et faire découvrir le savoir-faire français en matière de spiritueux et de distillation, notamment au niveau du whisky, car le whisky français est très méconnu et pourtant certaines expressions n’ont rien à envier à nos amis écossais, irlandais ou japonais.
Quels sont tes trois chouchous du moment ?
Pour ma part, je dirais :
Et en bonus, j’ai demandé à Géraldine qui m’a donné ses chouchous à elle :
Tu étais à la soirée « Accords mets & whiskies » du Décanteur mi-novembre : vous avez mangé quoi ? Et bu quoi avec ?
On a commencé par un rye très sympathique, le Mitchers Rye avec un mini tacos avec chantilly de popcorn. Puis, on a enchainé par la nouvelle gamme Jura avec le Jura 12 ans accompagné d’un ballotins de volaille avec shiitake et sa purée grand chef. Ensuite, le Glenfarclas Private Réserve 45% qui est une exclusivité pour le marché français et niveau rapport qualité-prix il n’y a pas beaucoup mieux. On l’a dégusté avec un feuilletée de foie de volaille. Et pour finir sur une note tourbée, un petit Kilchoman Machir Bay avec un entremet au chocolat avec sa crème anglaise.
La prochaine soirée d’accords aura lieu en janvier avec du rhum puis celle de février mettra à l’honneur le gin (et notre embouteillage L’originel en fera partie).
Le métier d’embouteilleur, c’est quoi ?
Les embouteilleurs indépendants sont des entreprises qui ne possèdent pas de distillerie. On parcourt les distilleries pour sélectionner les fûts que l’on trouve exceptionnels, on les achète avant de les embouteiller sous notre propre marque directement, ou en continuant à les faire vieillir, ou encore en pratiquant un « finish » avant de les embouteiller. Cela nous permet de sortir des spiritueux à caractère unique par rapport aux gammes permanentes.
Petits secrets : comment vous y prenez-vous pour vous procurer les spiritueux que vous embouteillez ?
C’est la partie la plus complexe. Il faut arriver déjà à établir une relation de confiance entre la distillerie et nous pour qu’ils acceptent de nous ouvrir la porte de leur chai afin de sélectionner un fût. Ensuite c’est à nous de jouer, on « teste » les différents fûts qu’ils acceptent de nous vendre et on sélectionne celui qui nous aura fait le plus « vibrer ».
Ton métier doit te permettre de connaître un paquet de whiskies français : si tu devais en conseiller quelques-uns, ce serait lesquels ?
La gamme Vilanova de la distillerie Castan, a été mon gros coup de coeur, celle qui m’a fait découvrir et aimé les whiskies Français, notamment le Vilanova Roja qui est une édition vieillie en ex-fût de vins rouge de chêne Français.
Pour Geraldine, son cœur balance pour le Vilanova Gost : single cask double maturation en fût de chêne neuf américain ayant contenu du bourbon, puis dans un ex fût de vin blanc. Si vous passez du côté de Gaillac, n’hésitez pas à faire un tour à la distillerie, vous ne serez pas déçu.
Ensuite, j’aime beaucoup le Rozelieures Triple Millésime, qui est issu d’un assemblage de 3 whiskies de 2006, 2011 et 2016, vieillis en fûts d’Olorosso. Chez nos amis bretons, j’aime beaucoup l’Armorik Double Maturation avec un vieillissement en fût de chêne et un finition de quelques mois en fûts de Xeres.
Et pour finir, si vous avez l’occasion de tester le new make de la Distillerie Straw Bale à côté de Fronton et le new make de la Distillerie du Vercors, n’hésitez pas. On est impatients de découvrir le produit fini, mais ça annonce du très bon whisky.
Quelques mots sur votre première sortie : le gin L’originel.
L’originel est notre premier embouteillage. C’est un gin toulousain qui a été distillé à côté de Toulouse. Nous avons travaillé sur la recette pendant plusieurs mois avec le master distiller. C’est un gin très parfumé qui fait la part belle aux agrumes avec des notes poivrées qui lui donnent du « pep’s ». La finale est longue avec beaucoup de fraicheur. Il se déguste aussi bien pur qu’en tonic.
Et pour finir, un peu de teasing : quels sont vos plans pour 2020 ?
On espère que 2020 sera une grosse année pour nous avec beaucoup de projets. En mars, Géraldine part en Martinique pour faire le tour de certaines distilleries et pour ramener, on espère, un fût dans ses bagages. On va ensuite sélectionner un fût de whisky que l’on embouteillera. Et enfin, comme pour le gin, nous bossons sur le projet de nous faire distiller un whisky que l’on fera vieillir dans nos propres fûts.
MERCI GUILLAUME !
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