Édition #17 — 14 JUILLET 2019
Alors que le Tour de France bat son plein et que nous fêtons aujourd’hui la fête nationale, ce dimanche aurait été la parfaite occasion de faire une newsletter sur le whisky français. L’envie était là, mais pas le temps ni la possibilité de s’adonner à une petite dégustation sur ce thème-là.
Alors on se le garde pour une autre fois, et on poursuit aujourd’hui notre série sur les sens, avec une seconde partie consacrée à l’odorat et au goût.
On commencera en parlant de l’odorat et de la difficulté qu’on a tous à exprimer ce que l’on sent. Puis je passerai au débriefing de la dégustation dans le noir qui avait lieu au Hopscotch il y a quelques jours.
Bonne lecture,
Robin
Un peu de culture whisky – Par Robin
Lorsqu’on fait ses premiers pas dans le monde du whisky et qu’on déguste ses premiers malts, la chose qui semble la plus difficile est l’identification de ce que l’on sent. Si certains arômes sont plus faciles à identifier que d’autres, comme le fumé par exemple, il est souvent difficile d’exprimer ce qu’on sent dans le verre. Et j’insiste sur le mot exprimer: notre nez capte des odeurs, mais c’est notre cerveau qui a ensuite du mal à mettre des mots dessus.
Alors on commence avec des mots très simples (« ça sent… le whisky ? ») puis petit à petit, on parvient à ranger les arômes qu’on perçoit dans de grandes familles : « floral », « fruité », « iodé », « tourbé »… Puis parfois, on saura exprimer un arôme particulier, une odeur qui nous rappelle un souvenir, mais on est quand même très peu nombreux à être capable d’identifier et exprimer autant d’arômes que ce qu’on peut lire sur certaines notes de dégustation :
Mais alors pourquoi est-il si difficile d’identifier un arôme alors que notre nez perçoit chaque jour des odeurs ? Est-ce une question de talent (« le nez absolu »), de confiance en soi, d’entrainement ?
Des chercheurs se sont penchés sur le sujet et ont fait des découvertes étonnantes.
Ils ont découvert que certaines ethnies asiatiques utilisaient leur odorat pour analyser leur environnement et tirer de précieuses informations des odeurs qui les entourent (est-ce que cette odeur est reliée au danger ? à la sécurité ?). Puisqu’elles doivent être capable de partager leurs ressentis à leur entourage, elles ont développé un champ lexical beaucoup plus vaste que le nôtre pour exprimer ce qu’elles sentent. Elles peuvent donc décrire une odeur très précisément, avec beaucoup de détails et d’images.
Au contraire, si nous avons du mal à exprimer ce que l’on sent, c’est que dans notre société, nous n’avons simplement pas besoin de les communiquer à autrui ce que l’on perçoit comme odeurs. Nous n’avons donc pas développé de langage pour en parler et voilà pourquoi on galère à décrire ce qu’on sent dans notre verre.
Heureusement, tout ça peut changer avec un peu d’entraînement. Pour être capable de reconnaitre des arômes et odeurs puis de les exprimer dans un lexique varié, il vous faut enrichir votre bibliothèque mentale d’arôme, ou mémoire olfactive.
Pour Jacques Cavallier-Belletrud, maître parfumeur chez Louis Vuitton, chaque personne a la même capacité de détection. Ce qui varie entre deux individus, c’est sa mémoire olfactive, une mémoire qui se construit très largement entre 0 et 18 ans. Pour lui, « nos futurs choix pour les parfums et la nourriture sont basés sur nos expériences durant l’enfance ».
Si vous n’êtes plus dans cette tranche d’âge vous non plus, pas de panique, vous pouvez quand même vous entraîner et progresser. La première chose à faire, c’est d’être attentif aux odeurs que vous croisez chaque jour, de vous arrêter un moment sur cette odeur et de chercher à la mémoriser. Chercher à « ranger » cette odeur de foin dans une case de votre bibliothèque mentale, puis cette odeur d’orange, puis cette odeur d’embrayage qui a chauffé.
Il existe aussi des raccourcis, des supports d’entraînement qui vous feront gagner du temps dans la constitution de votre mémoire et de votre faculté à exprimer ce que vous sentez. Ça n’éliminera pas le besoin de porter attention aux odeurs que vous rencontrez chaque jour, mais ça facilitera un peu la tâche. Ces supports d’entrainement, ce sont, par exemple, les coffrets d’arômes comme Le Nez du Whisky.
J’ai reçu ce coffret en cadeau il y a quelques mois, et je m’éclate à jouer avec, à me faire des petites séances tests en cherchant à reconnaitre 10 arômes au hasard. C’est aussi très amusant de le sortir avec des proches et faire deviner des odeurs. On s’aperçoit alors que beaucoup adorent sentir et chercher à reconnaitre une odeur, mais que si on reconnait la plupart des arômes, on galère vraiment à mettre un nom dessus. Pour les mêmes raisons que celle dont je parlais plus haut: un manque d’habitude d’exprimer ce qu’on sent.
Je trouve que ce coffret est un outil d’entraînement intéressant, qui permet par exemple à distinguer très clairement le « fumé » du « tourbé » (chose pas toujours facile), de distinguer différents arômes d’agrumes (citron, orange, mandarine, pamplemousse, des arômes proches et piégeux) ou encore d’avoir une image claire de ce que sent le caramel (on n’en fait pas tous les jours après tout, alors que c’est un mot qu’on utilise souvent pour décrire un whisky).
Ceci dit, au-delà de cet aspect d’entrainement, je vois surtout ce coffret comme un objet ludique.
Après tout, ne devrions-nous pas voir les odeurs et arômes comme un jeu?
Il a été découvert que les caractères chinois utilisés pour le terme « dégustation de vin » se traduisent par « gouter le vin comme une personne » et que, même si « gouter » signifie « juger » ou « apprécier », il a aussi le sens de « jouer ».
La dégustation cesse alors d’être un processus purement analytique et entre dans un domaine plus créatif. Il ne s’agit pas simplement d’une liste d’adjectifs, mais aussi de ce qu’on ressent lorsqu’on rencontre un liquide. Comment est-ce que ça me parle ? Quel endroit me rappelle-t-il ? Quelle personnne, quelle situation, quel souvenir ?
C’est une approche vraiment amusante, qui donne lieu à des notes de dégustations beaucoup plus intéressantes que les listes d’adjectifs.
Pourquoi me lister les arômes qu’un expert bien entrainé à su identifier ? N’y a-t-il pas un risque que je me sente nul si je ne trouve pas tout ça ? Ou bien que je sois influencé par ce que j’ai lu et que donc, moi aussi, je trouve ces arômes dans mon verre sans en être sûr et sans chercher autre chose ? Finalement, ces listes d’adjectifs ne me disent pas grand chose sur ce que je vais être capable de ressentir et sur l’émotion que me transmettra le whisky (ou non).
Par contre, cette note de dégustation de Serge Valentin (WhiskyFun) du même whisky que la photo que vous voyez plus haut, est beaucoup plus instructive et agréable à lire :
Ce genre de notes fait référence à des choses de la vie, de l’enfance, à des choses totalement inattendues aussi, qu’on ne retrouverait pas dans une roue des arômes classiques. Des notes qui montrent également le niveau d’appréciation de celui qui les écrit.
Mais elles atteingnent leur limite avec les différences culturelles que peut avoir le lecteur de la note avec la personne qui l’a écrite. Lorsque vous lisez les notes de Serge ci-dessus, il y’a peu de chances que vous ayez la même référence que lui concernant les cigarettes : difficile donc de poser les mêmes mots que lui sur ce que vous sentez.
De même que, si vous lisez des notes de dégustation écrites par un écossais, il y a de fortes chances qu’il fasse référence à des arômes que vous n’avez jamais senti — et qu’inversement, vous trouviez dans votre verre des arômes que le cousin écossais ne mentionne pas car il ne les connait pas.
Ce qui m’amène à la conclusion de ce long article, et à la principale recommandation : ne comparez pas ce que vous sentez avec ce que sent une autre personne.
Bon, vous pouvez évidemment partager vos impressions et ce que vous percevez, c’est là tout le plaisir de partager un verre avec un ami. Mais ne complexez pas parce que vous ne sentez pas la même chose ou que vous trouvez difficile d’y mettre beaucoup de mots et d’adjectifs précis.
Je peux trouver de la sauce barbecue parce que j’en mettais sur mes frites étant petit et que je reconnais bien cette odeur ; vous pouvez juste trouver de la fumée, ou en fait un vieux cendrier froid qui vous rappelle quelque chose de précis. Et on aura tous les deux raison, il n’y a pas de bonne réponse, de bonne façon de sentir le whisky.
Vous n’avez ni la même mémoire olfactive que votre voisin, ni le même lexique, ni les mêmes références, ni la même culture. Ce que vous allez sentir différera certainement de ce qu’un autre sent, et c’est bien normal (même si vous aurez surement des choses en commun car le profil aromatique restera identique).
On ne se prend donc pas trop la tête avec tout ça, on se mets à l’aise, et on apprécie notre whisky sans trop se soucier de ce qu’il y a autour
Nos coups de coeur, nos soirées dégustation, nos critiques, etc… – Par Robin
Place maintenant au débrief de la dégustation qu’a organisé Anne-Sophie, du Hopscotch, le mercredi 3 juillet. Le concept était plutôt original puisqu’il s’agissait d’une dégustation dans le noir.
L’objectif de ce genre d’exercice est simple : ne pas pouvoir s’aider de ses yeux lors de la dégustation, et s’en remettre complètement à son nez et à son palais. Objectif partiellement atteint, puisque nous n’étions pas dans le noir complet, mais dans une pénombre nous permettant quand même de distinguer la couleur du whisky.
Par contre, impossible de voir les bouteilles. Plutôt qu’une dégustation dans le noir, nous étions là dans une dégustation « à l’aveugle », comme celles que font les experts lors des concours (les World Whisky Awards par exemple).
C’est quelque chose que je voulais faire depuis un bon moment, et ça tombait donc à point nommé.
Quatre whiskies nous sont tour à tour proposés ce soir-là. Voici ce que j’ai perçu… et ce que ces whiskies étaient en réalité.
Le premier présente un nez fruité, sur la pomme et la poire, avec une vanille bien présente. Un peu de chêne aussi, qui s’estompe, et de la noix de coco. Il me semble assez jeune, et pas écossais, ni irlandais. Peut-être un Français ?
En bouche, il attaque sec et raide, puis se révèle bien, là aussi sur la pomme et les épices, de la vanille et du bois, avec une pointe de tourbe. Rondeur intéressante mais pas assez « prenante », et pas hyper complexe. Ça ne semble pas très âgé.
La finale est mitigée, bien présente dans la bouche mais pas très longue, avec une pointe d’astringence pas très agréable, et un faible degré d’alcool ressenti.
Pas mal mais pas convaincu, je lui donnais un 5/10 en appréciation et un 4/10 en complexité, notes assez semblables dans notre groupe du soir. Et un âge entre 7 et 9 ans.
Dévoilement : il ne s’agissait même pas d’un whisky mais plutôt d’un « pré-whisky » âgé de moins de 3 ans. Vieilli dans trois fûts différents (bourbon, vin rouge et vin rouge ayant contenu du whisky tourbé), il titre à 46%. Il nous vient de la première distillerie israélienne, fondée en 2013 à Tel Aviv : Milk & Honey. Accompagnée à ses débuts par des pointures du domaine, comme le Dr James Swan qui a notamment participé au lancement de Kavalan, c’est une distillerie qui, au vu de ce jeune malt, parait très prometteuse. Une distillerie qui sortira son premier whisky single malt en gamme permanente à la fin de l’année. À suivre donc…
Passons au second whisky. Au nez, je sens immédiatement… du Dragibus ! Puis du produit ménager Puis du fruit confit, des agrumes confits. Puis comme un bonbon crémeux au caramel à l’orange. Un nez surprenant, d’abord peu agréable puis sympa.
En bouche, c’est léger et crémeux, puis ça monte tranquillement, toujours sur de l’agrume mais avec du caramel légèrement salé. Se révèle assez chargé en bouche, rond mais pas hyper complexe.
La finale, d’abord décevante en longueur, s’avère finalement bien prenante en bouche, fruitée et légèrement salée.
Je lui donnerais un 46% d’alcool, entre 12 et 15 ans, et une appréciation de 6/10, avec une complexité à 5/10, qui là va à l’inverse du groupe (la plupart ont préféré le premier au second). Et allez, je le mettrais en Irlande.
Dévoilement : il s’agit en fait d’un décevant Glen Scotia de 21 ans d’âge, embouteillé au début des années 2010. Un whisky au packaging très étonnant, relativement rare (et donc relativement cher), mais décevant par rapport à ce qu’on trouve beaucoup plus facilement chez Glen Scotia, à commencer par leur gamme permanente très sympa.
On avance dans cette dégustation et on arrive déjà au troisième whisky. Servi en quantité limitée et issu d’une petite bouteille, on s’attend à quelque chose de vieux, rare et/ou cher.
Au premier nez, je sens de la sauce barbecue (la fameuse !). Comme des ribs de porc couverts de sauce. Mais juste de la fumée et point de tourbe. Celle-ci n’arrive qu’ensuite, légère et verte. Et encore un peu plus tard, c’est une tourbe fortement fumée qui apparait, comme si tout se mélangeait. Mais une tourbe qui est aussi ronde, comme si elle avait subit l’influence d’un fût de vin rouge. Un superbe nez qui nous laisse présager le meilleur.
En bouche, on trouve tout de suite cette tourbe bien ronde, gourmande, avec des fruits rouge qui confirme l’idée d’une finition en fût de vin rouge (ou de longue maturation en sherry). C’est diablement complexe, très équilibré, très prenant et superbe car pas trop prononcé mais bien enveloppant.
La finale reste dans cette lignée : tourbée mais pas trop, complexe, équilibrée et ronde. Vineuse aussi mais peu fumée, et vraiment looonnngue.
Superbe whisky, qui me parait assez chargé en alcool (plus de 55%). Je lui donnerais 15 à 20 ans d’âge, en provenance d’Islay. Une appréciation de 9/10 et une complexité identique. Tout le monde a adoré celui-ci !
Dévoilement : il s’agit bien d’un Islay, bien chargé en alcool (58,2%), mais âgé seulement… de 5 ans ! Et côté tourbe, on est ici sur un des whiskies les plus tourbés du monde puisqu’il s’agissait de l’Octomore 9.2. Un piège donc, car malgré ses 156ppm, sa tourbe est légère et bien enrobée dans d’autres arômes, ce qui le rend difficile à identifier sauf à bien connaitre le profil particulier des Octomore. En tout cas, un whisky qui nous a donné bien du plaisir 🙂
Et pour finir, Anne-Sophie nous propose un whisky noir de noir. Au nez, on ne sent que du café. Du café, du café et encore du café Alcoolisé, comme un Irish coffee sans crème, et froid. Au second nez, pas grand chose d’autre, juste un peu de gras.
En bouche, rien de plus : juste du café froid, mais plutôt l’arôme de café, comme dans les bonbons « goût café » (ça me rappelle des bonbons colombiens que j’avais trouvé en voyage là-bas).
Et en finale, eh bien…. pareil. Limite du café trop chauffé. Vraiment pas agréable, j’en n’ai bu que deux gorgées et je me suis arrêté là
Impossible de donner un âge ou une provenance, mais mes notes sont sans concession : 2 en appréciation et 1 en complexité.
Dévoilement : là encore, il ne s’agissait pas d’un whisky. Et paf, encore un piège. Il ne s’agissait pas d’un « pré-whisky » non plus, mais d’une expérimentation de Jameson qui a mélangé son whisky avec du café cold brew dans l’idée de créer une liqueur (35%) rappelant directement l’Irish coffee. Logique, donc, qu’on n’ait pas trouvé grand chose d’autre…
Et voilà que se terminait cette dégustation intéressante. Au final, même si j’ai beaucoup apprécié l’Octomore, c’est surtout le concept de la dégustation à l’aveugle qui m’a plu.
Et ça m’a donné envie de retenter l’expérience, mais différemment.
D’abord, pas dans le noir ou la pénombre, plutôt dans le jour pour profiter vraiment de la couleur du whisky. Mais toujours à l’aveugle, donc sans connaitre les whiskies qu’on a dans le verre. Ce qui m’amuserait le plus ne serait pas d’évaluer chaque whisky à tour de rôle, mais plutôt de chercher à identifier des whiskies. Au lieu de les déguster un par un, je les alignerais tous devant moi, pour pouvoir les comparer à l’oeil et au nez, et ainsi commencer à me faire une idée sur ce que ça pourrait être.
Et donc je trouverais ça cool d’avoir un thème avec ce genre d’expérience, comme par exemple « Les régions d’Ecosse » (5 whiskies assez typiques de leur région d’origine à remettre dans l’ordre), « Les profils aromatiques », « Les distilleries d’Islay », « 5 whiskies de 5 pays différents », etc… Et ajouter des petits pièges au fur et à mesure qu’on se perfectionne.
Bref, je trouve ça très cool de jouer avec nos sens, et cette dégustation n’était que le début 😉
Nous n’envoyons plus de nouvelles newsletters depuis avril 2020.
Vous pouvez retrouver toutes nos éditions sur notre site.